Séverine Moynat

« Si on ne travaille pas sur la carrière et les parcours professionnels on ne résoudra pas le problème démographique »

Cadre supérieure de santé à l'AP-HP et présidente du CNPMEM depuis 2019, Sévérine Moynat est pleinement engagée dans les orientations prioritaires de formation des manipulateurs et dans la valorisation de la profession. Elle nous livre dans un entretien sa vision concernant l'évolution de la pratique des manips.

Le 16/11/23 à 7:00, mise à jour le 21/11/23 à 15:42 Lecture 7 min.

« Les DU pour les manips donnent certes des compétences particulières mais ne sont pas valorisés. » © Solenn Duplessy

Tech Imago / Vous êtes cadre supérieure de santé à l’assistance publique des hôpitaux de Paris, administratrice de l’Association française des techniciens de médecine nucléaire (AFTMN) et présidente du Conseil national professionnel des manipulateurs radio (CNPMEM). Quelles sont vos missions au sein de cette organisation ?

Sévérine Moynat / En tant que présidente, je coordonne les instances de cette fédération d’associations. J’anime et je mets en place des groupes de travail, je réponds à toutes les sollicitations des instances gouvernementales, par exemple la Haute Autorité de santé (HAS) ou différents organismes. Nous travaillons également beaucoup sur les orientations prioritaires de formation avec l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC).

T. I. / Qu’en est-il des revendications portées par les manipulateurs concernant leurs conditions de travail ?

S. M. / La démographie des manipulateurs, qui est en tension depuis maintenant 2017, a un impact très clair sur les conditions de travail. Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a fait différentes recommandations pour notre profession, avec lesquelles nous étions en parfait accord. Malheureusement, elles ne sont toujours pas mises en place. Je pense notamment à la prime Veil pour le secteur public et aux recommandations sur la prise en compte des carrières professionnelles.

T. I. / Où en sont les problématiques de recensement des manipulateurs ?

S. M. / Concernant les outils de recensement des professionnels, nous en sommes toujours au même point, avec un fichier Adeli qui n’est pas du tout mis à jour et l’absence des manipulateurs du répertoire partagé des professions de santé (RPPS). Donc à ce jour, nous n’avons toujours pas d’outils pour nous dénombrer. Ça ne bouge donc pas énormément.

T. I. / Y a-t-il des régions où la tension démographique des manipulateurs est plus forte ?

S. M. / Tout le territoire est touché, aussi bien le Nord, que le Sud, la région parisienne ou les zones frontalières, que ce soit dans le public ou le privé et même en médecine nucléaire et radiothérapie. Ce n’est même plus lié qu’à la radiologie. Et ce n’est pas un problème exclusivement national, puisque nos voisins européens sont aussi dans la même situation, présente également au niveau mondial. C’est le cas de tous les métiers où les besoins augmentent à cause du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques.

T. I. / Quelles mesures sont mises en place aujourd’hui pour redonner de l’attractivité à cette profession ?

S. M. / C’est quelque chose qui nous tient à cœur au CNP. J’ai donc mené des projets avec l’équipe : nous avons diffusé des films d’animation pour faire connaître le métier auprès des plus jeunes. Nous avons également travaillé avec un vidéaste, Ludovic B, qui a passé une journée avec un manip radio au CHU de Poitiers (86) et a réalisé une vidéo de 40 min qui reprend toutes les facettes du métier. Sur le plan national, il y a aussi eu l’année dernière quelques spots publicitaires du ministère de la Santé qui informaient sur le recrutement des manipulateurs radio.

T. I. / Les protocoles de coopération sont-ils bien valorisés du côté des manipulateurs ?

S. M. / Il y a en effet des protocoles de coopération qui fonctionnent très bien depuis longtemps. C’est le cas des protocoles nationaux, notamment le protocole en échographie d’acquisition et le protocole de pose de PICC-lines (cathéters centraux à insertion périphérique, NDLR). Ces derniers ont démontré leur efficacité, ils remplissent les objectifs d’un protocole de coopération qui répond à des besoins de santé, avec une montée en compétence des professionnels. D’un point de vue local, certains protocoles de coopération sont mis en place dans les établissements de santé avec une validation en commission médicale d’établissement (CME) puisque le processus a été simplifié par la HAS avec aussi une nouvelle plateforme d’enregistrement ARS. D’ailleurs, le CNP publie maintenant régulièrement des petites interviews de manipulateurs qui présentent les protocoles dans lesquels ils exercent. Par exemple, une manipulatrice à Grenoble (38) nous parlera de son protocole de coopération de sertissage de valve aortique en cardiologie interventionnelle et il y en a beaucoup d’autres.

T. I. / Est-ce un premier pas vers le développement des pratiques avancées ?

S. M. / Pour l’instant, les pratiques avancées n’existent pas pour les manipulateurs en France. La pratique avancée serait la possibilité d’exercer un nouveau métier qui reste dans le soin. Cela demanderait une formation complémentaire sur le modèle de celle des infirmières de pratiques avancées, donc de niveau master 2 et sur des activités qui seraient coordonnées par un médecin.

T. I. / Sur quelles activités ?

S. M. / Le chantier reste à mener, mais il me semble que là où nous serions le plus avancés c’est sur l’oncologie ou encore la radiothérapie. Les médecins radiothérapeutes ou oncologues et même les médecins nucléaires ont déjà l’habitude de travailler avec des infirmières en pratiques avancées et se projettent davantage dans la perspective de travailler avec un manipulateur avancé.

T. I. / En attendant, quelles sont alors les perspectives d’évolution des manipulateurs ?

S. M. / Les manipulateurs évoluent aujourd’hui vers des professions de cadres de santé, de conseillers en radioprotection. Ils évoluent également vers la physique médicale, ils passent un master de biomédical, deviennent ingénieurs d’application, ils vont travailler dans l’industrie, etc.

T. I. / La recherche pour les manipulateurs constitue-t-elle une autre opportunité d’évolution des carrières ?

S. M. / Bien sûr, la recherche médicale ou paramédicale peut aussi être une forme d’évolution, cela va dans l’idée du cursus licence master doctorat (LMD). Ces professionnels vont faire un doctorat, une thèse et donc de la recherche. Le champ des possibles est très large mais le chemin n’est pas forcément aisé. En effet, pour les manipulateurs, nous n’avons pas de conseil national des universités (CNU) qui reconnaît le métier de manipulateur enseignant chercheur. Il y a peut-être une piste de sous-section du CNU de radiologie mais sur le plan paramédical, il y a le CNU des infirmières, le CNU de rééducation mais pas de CNU exploration ou imagerie.

« J’en ai un peu assez qu’on nous dise qu’il ne faut pas que les manipulateurs se dispersent et qu’ils fassent autre chose parce qu’on n’en a pas assez. »

T. I. / Ces évolutions de carrières sont-elles souhaitables, alors que les manipulateurs manquent ?

S. M. / Le manipulateur n’a pas un don d’ubiquité, mais à un moment donné, quand on connaît une telle pénurie, il faut aussi se demander comment en sortir et la seule solution pour l’instant, c’est de former davantage, d’optimiser les places dans les écoles, d’ouvrir plus de places, de créer des écoles. Mais c’est peut-être la solution de facilité et il faut aussi se demander pourquoi les manipulateurs ne restent pas dans le soin. Nous n’avons pas d’outils pour savoir si un manipulateur en moyenne travaille 5, 10 ou 20 ans mais ce qu’on peut percevoir quand même, c’est que les manipulateurs aujourd’hui ne font pas ce métier toute leur vie. C’est la raison pour laquelle si on ne travaille pas sur la carrière et sur les parcours professionnels on n’y arrivera pas. Il faut donc absolument qu’on parvienne à développer tout ça pour que les manips puissent rester dans le soin et répondre à des besoins de santé. Ce serait gagnant-gagnant. J’en ai un peu assez qu’on nous dise qu’il ne faut pas que les manipulateurs se dispersent et qu’ils fassent autre chose que manipulateurs parce qu’on n’en a pas assez. Dire ça, ce n’est pas regarder à long terme.

T. I. / Comment les manips doivent-ils être formés aujourd’hui pour répondre à ces besoins de santé ?

S. M. / Les DU donnent certes des compétences particulières mais ne sont pas valorisés. Il est indéniable que les DU d’échographie ou de radiologie interventionnelle apportent des compétences mais entre un manipulateur qui a fait ce DU de radiologie interventionnelle et celui qui ne l’a pas fait, au niveau pécunier, il n’y aura pas de différence. Il y a pourtant un vrai besoin de formation notamment sur la radiologie interventionnelle, pour exercer en tant qu’IBODE côté manipulateur, ce qu’on appelle MAORI (manipulateur aide opératoire en radiologie interventionnelle. L’idée de créer un master 2 est plus que prégnante aujourd’hui, tout en sachant qu’un master 2 est un diplôme qui pourrait être valorisé soit comme une spécialité soit comme une pratique avancée. Il faudrait voir quelles compétences et quelles activités seraient possibles à la sortie d’une telle formation. Il y a également le DU recherche mais aussi un tout nouveau DU d’IRM. D’ailleurs, je crois savoir que les trois prochaines promotions sont déjà remplies, ce qui montre bien que ça répond à une demande.

Auteurs

Solenn Duplessy

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