Industrie

La pénurie de PDC iodés peut-elle inciter à revoir les circuits d’approvisionnement ?

Confrontée à une pénurie de produits de contraste iodés, la communauté radiologique américaine adapte ses organisations et ses recommandations pour les examens de scanner. Le fabricant GE Healthcare annonce une reprise totale de sa production sur son site chinois, mais la situation soulève chez certains professionnels des interrogations sur l'avenir de la production et de l'approvisionnement en produits de contraste.

Le 07/06/22 à 5:00, mise à jour le 06/10/23 à 18:32 Lecture 6 min.

Au total, GE possède quatre usines de fabrication de produits de contraste dans le monde, et l’Europe est principalement approvisionnée par l’usine de Cork (Irlande) ce qui explique que le Vieux continent ne soit pas concerné par la pénurie (photo d'illustration). © C. F.

Depuis un peu plus d’un mois, de nombreux centres d’imagerie américains témoignent de leurs difficultés à se fournir en produits de contraste iodés fabriqués par GE Healthcare. Pour décrire cette situation, certains établissements n’hésitent pas à employer le mot « pénurie ». Outre Atlantique, GE Healthcare annonçait début mai une réduction de 80 % des approvisionnements, qui pourrait durer de 6 à 8 semaines. De Miami à Kansas City, en passant par des hôpitaux mondialement réputés, tels que la Mayo Clinic à Rochester (Minnesota) et le Massachusetts General Brigham à Boston, nombreux sont les services d’imagerie à faire part dans les médias américains de leur obligation de réduire leur utilisation de PDC, voire de reporter certains examens de scanner faute d’un approvisionnement suffisant.

Le confinement de Shanghai impacte l’imagerie américaine

La source du problème se trouve à de 10 000 km de là, à Shanghai (Chine), où un confinement strict de la population a débuté il y a deux mois pour faire face à une résurgence épidémique de Covid-19. C’est à Shanghai que GE Healthcare fabrique ses produits de contraste Omnipaque et Visipaque, et la fermeture temporaire de son usine – confinement oblige – a mis la production à l’arrêt pendant plusieurs semaines. La situation a été confirmée officiellement par l’entreprise américaine le 18 mai : « GE Healthcare fait actuellement face à une perturbation temporaire dans l’approvisionnement de ses produits de contraste iodés. Cette perturbation impacte aujourd’hui principalement les États-Unis, indique la firme dans un communiqué. La situation est extrêmement fluctuante et nous nous adaptons au quotidien. Nous travaillons d’arrache-pied pour augmenter la production de nos produits de contraste iodés et revenir à pleine capacité à Shanghai dès que possible et en accord avec les autorités locales. »

L’Europe échappe à la pénurie

Si l’on en croit GE, la situation semble progressivement se débloquer avec l’allègement des restrictions locales. En effet, le fabricant déclarait avoir retrouvé 60 % de capacité de production le 21 mai viser les 75 % dans les deux semaines suivantes. Il précise également avoir augmenté la capacité de production de son usine de Cork, en Irlande. Au total, GE possède quatre usines de fabrication de produits de contraste dans le monde, et l’Europe est principalement approvisionnée par celle de Cork, explique GE Healthcare France, ce qui explique que le Vieux continent ne soit pas concerné par la pénurie.

Stratégies et recommandations

Face à cette situation sans précédent à l’échelle d’un pays, le Collège américain de radiologie (ACR) a dispensé des recommandations de bonnes pratiques pour maintenir la qualité et la sécurité des soins. Il conseille notamment de réaliser des examens alternatifs pour répondre à la question clinique, comme le scanner non injecté, l’IRM avec ou sans gadolinium, l’échographie avec ou sans agent de contraste ultrasonore ou la TEP-TDM. Le collège recommande également de rechercher des versions alternatives d’agents de contraste, « qui peuvent être commercialisées sous un nom de marque ou pour une utilisation clinique différente », et d’acheter des produits de contraste auprès d’autres fournisseurs.
Parmi les stratégies énoncées, l’ACR préconise de réserver les agents à plus forte concentration pour les examens angiographiques et les examens multiphases. « Travaillez avec d’autres services, tels que l’urologie, la radio-oncologie, la gestion de la douleur, la gastro-entérologie, la chirurgie vasculaire et la cardiologie, qui utilisent des produits de contraste iodés, afin d’établir un ordre de priorité pour l’utilisation des ressources limitées », ajoute l’ACR. Enfin, la société souligne l’importance de ne pas sacrifier la qualité de l’image en utilisant des doses sous-optimales.
Au mois de mai, la littérature scientifique s’est enrichie d’études sur la gestion de la pénurie de PDC iodés, notamment dans les revues AJR, Radiology et JACR, où les auteurs décrivent des techniques de rationnement des produits et de réorganisation des services.

Les commandes affluent chez Bracco

Difficile de connaître précisément les volumes des ventes de produits de contraste GE et Bracco aux États-unis et en Europe. GE Healthcare ne communique pas sur ses parts de marché, et Bracco refuse de commenter les aspects financiers de ses activités. Plusieurs sources avancent toutefois que la part GE sur les produits de contraste iodés représenterait environ 50 % du marché américain. De son côté, l’entreprise italienne Bracco, autre fabricant de PDC iodés, assure ne rencontrer actuellement aucune difficulté à produire et à distribuer ses produits. Cette pénurie pourrait-elle rebattre les cartes de la production et de la distribution des produits de contraste, et transformer les rapports de force commerciaux entre laboratoires ? Dans un entretien publié le 26 mai dans le New York Times, Fulvio Renoldi Bracco, PDG de Bracco Imaging, déclare que les restrictions en cours n’ont pas d’impact sur les produits Bracco qui approvisionnent le marché nord-américain. Des établissements américains se sont d’ailleurs tournés vers le laboratoire italien pour pallier le manque de produits GE : « Étant donné la pénurie d’un fournisseur majeur, Bracco a connu ces dernières semaines un afflux de commandes de la part d’établissements cherchant à acheter nos produits de contraste (…) Dans le même temps, Bracco travaille de manière proactive avec la FDA et nous avons soumis une demande d’importation pour un produit équivalent de la même classe, largement utilisé en Europe et dans cinquante autres pays, qui n’est pas encore approuvé aux Etats-Unis. » Tout comme son concurrent américain, Bracco fabrique ses produits de contraste sur plusieurs sites dans le monde, principalement en Europe (Italie, Allemagne et Suisse), mais aussi au Canada, au Japon et en Chine. Le laboratoire possède d’ailleurs une usine de PDC à Shanghai, dont la production est dédiée au marché chinois.

Vers une fin de crise ?

Depuis quelques jours, les restrictions les plus sévères liées au confinement à Shanghai ont été levées, et GE annonçait le 2 juin que la capacité de production de son site de Shanghai serait proche de 100 % à partir du 6 juin. « Cela nous permettra de stabiliser notre approvisionnement mondial en produits de contraste iodés, et nous continuerons à travailler avec les clients concernés pour les aider à planifier plusieurs semaines à l’avance pendant que l’approvisionnement se rétablit progressivement », indique l’entreprise. Dans sa liste de produits en rupture de stock, la FDA indique que les différentes concentrations et présentations d’Omnipaque seront à nouveau disponibles courant juin ou au second semestre 2022.

Une leçon à retenir

Cette pénurie – bien que temporaire – pourrait-elle inciter les services d’imagerie à revoir leurs pratiques, dans l’éventualité d’un nouvel épisode de restrictions ? Aux États-Unis, la question se pose déjà : « Les hôpitaux se sont habitués à gérer les pénuries, mais à chaque fois, cela menace les soins cliniques, déclare Paul Biddinger, responsable de la continuité au Massachusetts General Hospital, au média Bloomberg.com. Et cela nous amène à nous demander si nous n’avons pas besoin de plus de sécurité dans la chaîne d’approvisionnement, afin qu’un seul site ne provoque pas une telle perturbation mondiale. »

Auteurs

Carla Ferrand

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