La question de leur responsabilité juridique intéresse, voire inquiète, de nombreux manipulateurs, si l’on se fie au succès public de la séance organisée sur ce thème par l’Association française du personnel paramédical d’électroradiologie (AFPPE), lors des Journées francophones de radiologie 2023. Sur l’estrade, Bertrand Marrion, avocat au barreau de Nancy, a rappelé quelques principes fondamentaux en répondant aux questions de l’assistance. Pour commencer, il a tenu à balayer les craintes : « Le nombre de procès contre des soignants augmente parce qu’on soigne aujourd’hui plus qu’hier et que les patients ont une attitude de plus en consumériste, mais il n’y a pas plus de condamnations. Le droit ne doit pas être un facteur de stress supplémentaire et devenir un frein à votre pratique. »
La sanction et l’indemnisation
Les juristes, explique-t-il, distinguent plusieurs types de responsabilité regroupés en deux blocs en fonction de ce que demande le plaignant : la sanction, quand il réclame la punition du professionnel, et l’indemnisation. La responsabilité indemnisation dépend du statut, pointe Bertrand Marrion : pour les manipulateurs fonctionnaires, elle est administrative et pour ceux du secteur libéral, elle est civile. « Dans ces deux cas, c’est la responsabilité de votre employeur qui est mise en jeu. Le procès ne sera pas mené contre vous mais contre votre établissement », souligne l’avocat.
Des critères stricts
Les critères, les conditions pour engager la responsabilité administrative sont complexes et plutôt stricts, indique-t-il. « C’est en partie pour cette raison que les condamnations ne flambent pas ». Premièrement, il faut établir qu’il y a une faute. Pour ce faire, le juge compare le comportement du manipulateur avec le comportement attendu dans la même situation donnée, qui doit exprimer de la prudence, de la diligence et de la compétence. S’il y a une discordance, on considère qu’il y a une faute. « Pour évaluer ça, il fait appel à un expert. La plupart du temps, c’est un radiologue », regrette Bertrand Marrion, qui encourage les manipulateurs à passer le diplôme d’université d’expertise judiciaire (DUEJ) pour devenir eux-mêmes experts.
Une faute et un préjudice liés
Il faut ensuite établir l’existence d’un préjudice pour le plaignant, c’est-à-dire une perte par rapport à un état antérieur qui n’était pas attendue dans le cadre de l’acte médical, définit le juriste. Cette perte peut être physique mais aussi psychologique. Enfin, le lien de causalité entre la faute et le préjudice doit être avéré. « Le manquement qu’on vous impute doit être la cause directe, certaine et exclusive du préjudice, reformule Bertrand Marrion. Dans tous les cas, quand bien même le patient parvenait à faire la preuve de ces trois conditions cumulatives, c’est votre employeur qui doit payer », rappelle-t-il.
« On peut quand même dormir sur ses deux oreilles. »
La sanction est personnelle
Il est tout aussi difficile d’engager d’obtenir la sanction du manipulateur, selon l’avocat. La responsabilité sanction se subdivise en responsabilité pénale et responsabilité disciplinaire, qui obéissent à des règles différentes. « Elle vous est personnelle. C’est vous, manipulateur, qui devez rendre des comptes auprès du juge dans le premier cas de figure (sanction pénale) et de votre employeur dans le second (sanction disciplinaire) », souligne Bertrand Marrion. Les différents types de responsabilités sont cumulatifs, précise-t-il : « Vous pouvez être sanctionné au pénal, puis par votre employeur et enfin indemnitaire. » Pour que la responsabilité disciplinaire soit reconnue, l’employeur doit constater un manquement à l’obligation de servir, résume l’avocat.
Le cas des infractions non intentionnelles est complexe
Pour ce qui est des sanctions pénales, deux cas de figure peuvent concerner le manipulateur dans sa pratique professionnelle : l’infraction non intentionnelle et la violation du secret professionnel. Le cas des infractions non intentionnelles est complexe, affirme Bertrand Marrion. « Il faut avoir commis une faute pénale, blessure ou homicide involontaire. Je n’ai jamais vu un manipulateur être condamné pour cela, même pendant l’affaire des surirradiés d’Épinal », rassure-t-il.
Un acte et un préjudice associés
Pour engager la responsabilité du manip pour infraction non intentionnelle, ce dernier doit avoir commis un acte considéré comme fautif qui a concouru à un préjudice pour le plaignant. On parle alors de causalité indirecte et de faute spéciale. « Pour la faire reconnaître, le procureur doit prouver que vous avez commis un manquement délibéré à une obligation de prudence imposée par la loi ou le règlement, à un texte qui vous imposait un comportement que vous avez choisi de ne pas avoir », détaille Bertrand Marrion. L’autre possibilité est la faute délibérée, c’est-à-dire que l’accusé a, en connaissance de cause, exposé le patient au risque dont il a été victime. C’est la faute qualifiée.
« Le consentement ne vous dédouane pas »
La violation de secret professionnel est une infraction pénale. « Le code de Santé publique vous oblige à donner l’information et à recueillir le consentement éclairé. Il est donc très important d’identifier votre interlocuteur et de savoir si vous pouvez faire l’acte », prévient l’intervenant. Par exemple, un beau-père ou une belle-mère, pas détenteur de l’autorité parentale, ne peut pas donner le consentement pour un petit enfant. « Et attention : le consentement du patient n’est pas un fait justificatif et ne vous dédouane pas en cas de violation du secret professionnel », pointe Bertrand Marrion. Même si le patient donne son consentement de manière explicite, divulguer à un tiers des informations qui relèvent du secret médical est illégal.
Qu’est-ce que la faute détachable du service ?
« La faute détachable du service est une chimère, extrêmement rare et compliquée à établir par le juge », commente Bertrand Marrion. Il s’agit d’une faute susceptible d’engager la responsabilité personnelle de son auteur. C’est une notion de droit administratif qui ne s’applique donc que dans le secteur public. Selon le Conseil d’État, il s’agit d’une « faute qui révèle l’homme derrière la fonction ». Elle peut être reconnue en cas de faits volontaires, où la personne n’a pas agi en tant que professionnel. « Dans ce cas, vous n’êtes plus couvert par votre employeur », prévient Bertrand Marrion.
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