Canhope est une étude multicentrique nationale, dont les inclusions ont démarré fin 2023. Elle vise à évaluer l’impact d’une prise en charge paramédicale, infirmière ou manipulateur radio, sur la qualité de vie et l’anxiété des patients porteurs d’anévrisme intracrânien (AIC).
Si nous sommes aujourd’hui capables de lancer une étude dont l’objectif est d’inclure 340 patients dans 12 centres de neuroradiologie (voir figure 1), c’est grâce au travail d’une équipe pluridisciplinaire réunie autour d’une même idée. Ce travail commun a permis de concrétiser une question de recherche et d’aboutir à la rédaction d’un protocole de recherche puis à l’obtention de son financement.
Au travers de ce retour d’expérience, ce sont les étapes de la construction d’un projet de recherche paramédical que nous vous exposons ici.
Figure 1. Le réseau investigateur Canhope prévoit d'inclure 340 patients dans 12 centres de neuroradiologie© Solène Jouan
De la naissance de l’idée à l’hypothèse de recherche
Avant de travailler dans l’unité de recherche imagerie du CHU de Nantes, j’ai été manipulatrice radio, spécialisée en neuroradiologie interventionnelle. J’ai eu alors l’occasion de prendre en charge des patients qui témoignaient de difficultés à vivre avec leur anévrisme intracrânien (AIC), qui modifiaient leurs habitudes de vie suite au diagnostic. L’incertitude liée à la potentielle rupture d’anévrisme était manifestement vécue différemment d’un patient à un autre. Des stratégies personnelles étaient mises en place pour s’adapter.
Dans le même temps, Emmanuelle, collègue infirmière de recherche clinique, faisait la même expérience lors de ses entretiens avec les patients, au moment des inclusions dans les protocoles de recherche sur les AIC. Certains tombaient en larmes, ou d’autres déversaient leur lot de questions à la sortie de la consultation. L’idée de proposer un accompagnement a alors germé. J’étais persuadée que le manipulateur radio avait toute sa place pour aider ces patients, car ses connaissances sur la pathologie anévrismale, le parcours de soins des patients au niveau diagnostic et thérapeutique dans le service d’imagerie, le rendent tout à fait légitime pour accompagner le patient, en complément des informations données par le corps médical. Partant de ce constat, nous avons discuté avec l’équipe médicale qui, par ailleurs, est très investie en recherche. Nous avons obtenu son soutien, ainsi que celui de l’encadrement. Élaborer un protocole de recherche est apparu comme la solution pour avancer et peut-être confirmer notre hypothèse : un accompagnement paramédical peut-il apporter un bénéfice aux patients porteurs d’AIC ? Nous pourrons ainsi apporter des données aux cliniciens et aux décideurs, susceptibles d’appuyer la mise en place d’un dispositif d’accompagnement paramédical, dans les centres référents du suivi des AIC.
Nous avons ensuite fait appel à la coordinatrice en recherche paramédicale de notre CHU, pour nous aider à structurer nos idées, et à les transformer en une réelle hypothèse de recherche. Grâce à elle, nous avons mené une première phase de recherche exploratoire avec l’appui d’une sociologue. Nous avons organisé deux matinées d’échanges avec quelques patients porteurs d’AIC non traités, non rompus. Leurs témoignages et interactions nous ont permis d’affiner notre réflexion et d’imaginer quelle pourrait être la prise en charge proposée aux patients. La théorie de l’incertitude en santé de Mishel [1] nous a également guidés. Nous l’avons conçue en 3 temps :
- un entretien après la consultation médicale d’annonce de la prise en charge de l’anévrisme : temps d’écoute, de reformulation destiné à rassurer le patient et à lui réexpliquer les modalités de sa prise en charge, temps d’évaluation des besoins et des attentes du patient ;
- une ligne téléphonique dédiée associée à un rendez-vous téléphonique entre J7 et J14, pour répondre aux éventuelles interrogations survenues à postériori ;
- un groupe d’entraide entre patients, mené par les investigateurs formés à l’animation de ces groupes. Il permet un temps d’échange et de partage entre personnes confrontées à une expérience similaire.
Il est apparu indispensable de prévoir un temps de formation des paramédicaux portant sur l’approche du soin relationnel en contexte d’incertitude, la gestion des émotions et l’animation de groupes d’entraide entre patients. Nous imaginons donc organiser deux journées de formation pour les investigateurs de l’étude.
La coordinatrice de recherche paramédicale nous a apporté son réseau, sa maîtrise des montages de projet et nous a permis d’imaginer une étude plus ambitieuse que nous ne l’aurions faite seules.
Revue de la littérature scientifique
Étape incontournable : faire un état des lieux des connaissances scientifiques sur le sujet. Une recherche Pubmed centrée sur les mots-clés tels que « anxiety », « quality of life », « unruptured aneurism », nous a permis d’obtenir 147 articles. Vivre avec un AIC non rompu et non traité a peu été étudié. Bonares et al. [2] ont mené une revue systématique de la littérature sur l’impact d’un tel AIC sur le profil psychologique des patients. Seulement cinq études ayant évalué le niveau d’anxiété et de dépression de ces patients ont été recensées. Leurs conclusions ne sont pas concordantes et portent sur peu de patients [3, 4, 5]. Concernant la qualité de vie, plusieurs études comparent la qualité de vie entre les patients porteurs d’un AIC non traité et les patients porteurs d’un AIC traité [6]. Elles rapportent que les patients non traités perçoivent un niveau de santé en général plus altéré que les patients traités. Les auteurs concluent que des études complémentaires devraient être menées pour mieux comprendre l’impact de l’AIC non traité sur la qualité de vie [7].
Concernant l’information reçue, les patients perçoivent une tension entre le besoin d’en savoir plus et l’anxiété générée par les données chiffrées évoquant le risque de rupture. Enfin, les patients expriment qu’ils souhaiteraient pouvoir bénéficier d’un espace pour reprendre les informations médicales, poser des questions complémentaires.
Établir la bibliographie nous a aidés également à déterminer quels seraient les critères d’évaluation utilisés pour nos différents objectifs d’études. C’est le début de la phase des choix méthodologiques.
Choix méthodologiques
En parallèle, notre équipe projet s’est étoffée avec l’implication d’une méthodologiste quantitative, méthodologiste qualitative (sociologue), biostatisticienne, datamanageure, d’une économiste de la santé, un chef de projet, une formatrice pour l’animation des groupes de patient. La complémentarité des points de vue scientifiques, méthodologiques et logistiques permet de trouver, ou tenter de trouver, le meilleur équilibre entre rigueur scientifique et faisabilité de la recherche, ceci dans un contexte que l’on connaît tendu dans les centres hospitaliers. Après de longues discussions, nous sommes parvenues à un schéma d’étude et à une typologie de recherche aboutis. Canhope est définie comme une étude sur l’organisation des soins, contrôlée, randomisée en cluster (c’est-à-dire que le tirage au sort a lieu à l’échelle du centre et non du participant), ouverte, en groupes parallèles. La randomisation en cluster permet de se prémunir d’un biais de contamination par les professionnels paramédicaux ayant suivi la formation CANHOPE. Le choix de l’objectif principal et des objectifs secondaires sont discutés, les critères d’évaluation correspondants définis. Canhope utilise une méthode mixte alliant trois volets méthodologiques : quantitatif, qualitatif, et médico-économique (voir figure 2).
Figure 2. Schéma de l'étude canhope© Solène Jouan
Financement
Même s’il est possible de faire de la recherche sans financement, la plupart des schémas d’études nécessitent des moyens, si ce n’est matériels, tout au moins en ressources humaines. Plusieurs solutions sont possibles pour obtenir des moyens financiers. Les centres hospitaliers proposent des appels d’offres internes, certaines structures privées ou associations proposent des appels d’offres par thématique. Le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) est un appel d’offres annuel, national, proposé par la Direction générale de l’offre de Soins du ministère de la Santé depuis une dizaine d’années 1. Ce dispositif permet de financer les projets de recherche menés par les infirmiers, kinésithérapeutes, diététiciens ou manipulateurs en électroradiologie, par exemple. Soumettre son projet à un appel d’offres oblige aussi à le structurer en respectant la trame des documents à soumettre : lettre d’intention, protocole, grille budgétaire.
La soumission d’un projet au PHRIP se fait en 2 étapes : une première phase de sélection sur lettre d’intention qui correspond à peu près à un résumé de l’étude puis une seconde phase de sélection dite sur dossier complet. Ce dossier comporte le protocole, le résumé, la liste des investigateurs pour les projets multicentriques ainsi que la grille budgétaire. Le processus complet se déroule sur 10 mois environ.
La difficulté dans l’exercice de la rédaction du protocole, de mon point de vue de novice, est qu’il demande de se projeter dans les moindres détails du déroulement de l’étude, et ce, très en amont de sa potentielle réalisation. Il demande du travail, de l’investissement, mais peut très bien rester à l’état de projet si le financement est refusé. Cette projection dans un futur hypothétique est un exercice très particulier.
Pour Canhope, nous avons essuyé un premier refus en 2021, lors de la seconde phase de sélection. Une fois passée la déception, la lecture des avis des experts ayant évalué notre dossier nous a poussé à reprendre notre protocole, le design de l’étude et à retravailler les points faibles, pertinemment mis en avant. Les dossiers sont vus par des experts méthodologiques et des experts de la pathologie ou du domaine étudié. Une nouvelle soumission nous a permis d’obtenir le financement de l’étude en juin 2022.
Avant le début des inclusions
Démarre alors la phase administrative et logistique avant de pouvoir démarrer les inclusions. Plus d’une année sera nécessaire pour pouvoir ouvrir les centres. La consolidation du réseau investigateur a été la première étape, pour obtenir la liste définitive des centres participants à Canhope. Sur les conseils de notre chef de projet, nous avons organisé des webinaires en invitant tout le réseau investigateur déjà existant pour d’autres études sur l’anévrisme promues par le CHU de Nantes, afin de leur présenter l’étude, son design et ses objectifs. Cette étape a été relativement longue, mais cruciale pour assurer le recrutement des patients dans l’étude. J’ai découvert l’importance de communiquer, notamment lors des congrès pour obtenir l’adhésion des centres participants. Une fois cette liste validée, le tirage au sort était possible, puis l’organisation de la formation groupée à Nantes des investigateurs du bras expérimental envisageable.
Nous avons réuni régulièrement le comité de pilotage, constitué de toutes les personnes impliquées dans la coordination de l’étude à Nantes afin de prendre les décisions de manière conjointe. En parallèle, nous avons conçu avec notre datamanageure le Case Report Form (eCRF), destiné à recueillir les données des patients inclus. Un avis éthique a été obtenu et les circuits de signature des conventions interétablissement initiés.
Nous avons également réalisé les réunions distancielles de mise en place de l’étude avec les investigateurs afin de les former au déploiement et à la conduite de l’étude dans leur établissement (voir figure 3).
Figure 3. Étapes de réalisation d’un protocole de recherche© Solène Jouan
Début 2024 marquera le début des inclusions dans les centres associés participants, après Nantes, qui a démarré en novembre 2023.
Deux années de recrutement de patient sont prévues, notre mission de coordination consistera à animer le réseau et à s’assurer que le rythme des inclusions soit respecté.
Conclusion
En conclusion, l’étude Canhope vise à apporter des connaissances scientifiques sur les patients porteurs d’AIC non rompu, non traité et à évaluer si un bénéfice est apporté aux patients, qui seront publiées dans une revue scientifique.
Au niveau collectif, une amélioration du parcours patient est attendue. Du côté des professionnels de santé, la formation à la gestion des émotions et à l’animation des groupes de parole permettra d’apporter de nouvelles connaissances, de les appliquer, et, pourquoi pas, de les étendre à d’autres pathologies ou d’autres domaines de l’imagerie médicale.
Cette étude permet également une première approche de la recherche pour les manipulateurs radio, en tant qu’investigateur, avec un format réglementaire hors loi Jardé assez souple, qui, je l’espère sera positive et incitera les collègues à se lancer dans l’aventure à leur tour.
À un niveau plus personnel, ce projet représente un challenge qui nécessite un investissement sur plusieurs années. C’est un parcours certes jalonné de doutes et de difficultés à surmonter mais surtout une expérience riche en rencontres. J’ai énormément appris au contact des membres du comité de pilotage et des centres participants. J’ai compris que le sens du relationnel, la communication étaient aussi importants que la rigueur scientifique pour coordonner un projet. Une certaine ténacité est nécessaire pour avancer malgré les obstacles qui peuvent se présenter, et j’ai conscience que ce n’est que le début de l’aventure. Notre objectif de 340 inclusions en 2 ans reste à atteindre pour pouvoir valider notre hypothèse.
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